Didactique et Pédagogie : soeurs ennemies ou même combat ?
Dans l’usage courant, le qualificatif « pédagogique » est généralement connoté positivement, tandis que ce qui est « didactique » est pédant ou ennuyeux. À titre d’illustration, nous citerons deux passages extraits de la même page de l’hebdomadaire Télérama58.
Pédagogique, grisant et intelligent, le magazine Ushuaïa ne se contente pas de nous faire découvrir la nature, il cherche à nous l’expliquer.
Dans sa présentation critique d’un épisode du feuilleton L’instit, le journaliste dresse une longue liste des déboires subis par les personnages et conclut :
Il semble que, dans un souci pédagogique extrême, on ait voulu tout nous dire : la détresse du père qui perd sa femme [etc., etc.] Résultat : on est assommé. Mais c’est sûrement un « assommement » didactique.
Ainsi, dans le langage journalistique, la pédagogie cherche à expliquer, ce qui est positif, mais point trop n’en faut : la tentation de l’exhaustivité mène la pédagogie tout droit sur le chemin de l’ennuyeuse didactique59.
Quittons maintenant le terrain de l’usage courant pour nous intéresser – dans la littérature du domaine – aux rapports qu’entretiennent entre elles didactique (D) et pédagogie (P), ainsi que les rapports qui les lient avec les trois pôles du triangle pédagogique : enseignant (E), savoir (S) et apprenant (A). Selon le point de vue adopté par les différentes auteurs, ces rapports peuvent être d’opposition (#), d’égalité, de recouvrement ou de quasi-synonymie (=) ou encore d’inclusion ().
— D # P
Pour Dieuzaide, didactique et pédagogie sont « deux disciplines rivales », qu’il définit en réalité comme complémentaires :
La pédagogie [...] s’efforce de rationaliser et d’optimaliser [sic] les processus d’apprentissage, [tandis que] la didactique [...] cherche à assurer la transmission optimale des connaissances définies par les objectifs et les contenus propres à chaque discipline (1994 : 17).
— P = axe E–A ; D = axes A–S et E–S
Labelle, qui s’intéresse avant tout aux relations entre les partenaires de l’acte éducatif, donne de la didactique une définition « double », qui la placerait à la fois sur l’axe apprenant–savoir et sur l’axe enseignant–savoir du triangle pédagogique :
La pédagogie est la conduite ou l’accompagnement60 de celui qui s’éduque, ou encore la relation d’éducation établie entre l’éducateur et celui qui s’éduque. L’accent est mis sur les aspects relationnels de l’apprentissage. [...] La didactique concerne l’accès au savoir par celui qui s’éduque ou encore l’activité corrélative d’apprentissage et d’enseignement de celui qui vise à travers son éducation un développement lié à l’exercice des ses facultés intellectuelles61. L’accent est mis sur la dimension proprement cognitive de l’activité éducative (1996 : 4).
— P
D
Dans le champ des langues étrangères, plusieurs auteurs s’accordent à considérer la pédagogie comme un sous-ensemble de la didactique :
La Didactique des Langues Étrangères se définit [...] par le va-et-vient permanent entre les réalités du terrain pédagogique (la classe de langue) et les apports de la réflexion théorique dans les domaines scientifiques concernés (Dabène 1989 : 5)62.
Ce point de vue est partagé par Bailly, pour qui le terme Didactique renvoie à une activité de théorisation dans laquelle
il s’agit [...] de s’abstraire de l’immédiateté pédagogique et d’analyser à travers toutes ses composantes l’objet d’enseignement, les buts poursuivis dans l’acte pédagogique, les stratégies utilisées par l’enseignement [...] (1997 : 10)63.
Plus précisément, dans le cadre de la DLE64, cette auteure65 est très claire sur la subordination de la Pédagogie à la Didactique, considérant que la première « constitue la composante appliquée » de la seconde (op. cit. : 19).
Pour Narcy également, les champs de la pédagogie et de la didactique se recouvrent :
Un apprenant qui souhaite connaître une L2 doit accomplir un certain nombre de tâches (t1 à tn qui impliquent l’interaction de plusieurs paramètres (p1 à pn). [Tandis que] le pédagogue peut se satisfaire de la simple connaissance du fonctionnement des tâches et de l’influence des paramètres les plus marquants[,] le didacticien se tournera vers les diverses sciences sur lesquelles la didactique des langues s’appuie (1997 : 50-51).
Une question se pose alors, à laquelle les auteurs cités ne répondent pas ou incomplètement : si le champ de la didactique inclut celui de la pédagogie, si – pour citer Narcy – un pédagogue est celui qui « se satisfait d’une simple connaissance » des tâches et des paramètres de la relation pédagogique, faut-il en conclure qu’un bon enseignant devra être à la fois un pédagogue et un didacticien ?
— P = axes A–S, E–S et E–A
D’après Filloux, la pédagogie, d’abord « art » est devenue « science d’éduquer » :
La finalité de la Pédagogie est de déterminer les objectifs et les méthodes (stratégies et techniques) qui caractérisent la transmission sociale ou interindividuelle du savoir. [...] [Il s’agit de développer] un corps de connaissance sur la problématique psychologique en jeu dans le rapport enseignant–enseignés, de même que sur le rapport de l’apprenant aux contenus (cité par Bailly, 1997 : 31).
On voit ici les spécialistes des Sciences de l’Éducation envahir totalement le champ de la relation pédagogique, en attribuant à la seule Pédagogie, dont ils se proclament les représentants, outre son domaine privilégié des rapports E–A, les domaines que d’autres réservent à la didactique ou à la psychologie de l’apprentissage. Il s’agit des rapports E–S (« les stratégies et techniques de la didactisation ») et des rapports A–S (« le rapport de l’apprenant aux contenus »). Bien que la « transmission du savoir » soit explicitement mentionnée dans cette citation, le spécialiste des Sciences de l’Éducation ne s’intéresse pas au contenu des « contenus ». Il s’intéresse au concept d’apprendre, ou d’apprendre à apprendre, mais pas à « apprendre quelque chose » et, puisque la didactique est toujours la didactique d’une discipline, il la renvoie vers les spécialistes des disciplines.
Ce point de vue est également adopté par Legendre (1988), pour qui la « relation pédagogique » subsume didactique, enseignement et apprentissage (Figure 1.4).
— D = axes A-S, E-S et E-A
D’autres auteurs élargissent au contraire le champ d’application de la didactique, jusqu’à lui faire recouvrir la totalité des interactions du triangle pédagogique (en plaçant toutefois le savoir au centre de ces relations) :
Dans son acception moderne, la didactique étudie les interactions qui peuvent s’établir dans une situation d’enseignement–apprentissage entre un savoir identifié, un maître dispensateur de ce savoir et un élève récepteur de ce savoir (Raynal et Rieunier, 1997 : 108).
Demaizière et Dubuisson essaient de délimiter les deux champs de la didactique et de la pédagogie, dans le milieu de la formation par l’EAO. Ces auteures remarquent que, dans ce milieu, « on crée des matériaux pédagogiques appelés ‘didacticiels’ »66. Sur le terrain, « les formes de pratiques appartiennent, selon les cas et la communauté de référence, à la didactique ou à la pédagogie », si bien que « l’imbroglio peut être total » (1992 : 186, 188). Elles citent Lerbet (1984), à qui nous avons emprunté, pour construire notre propre modèle de triangle pédagogique, l’idée que « la didactique procède de la gestion de l’information », tandis que le domaine de la pédagogie est celui de « l’économie de la médiation ou [...] de la communication » (op. cit. : 187). Sans vouloir anticiper sur notre étude de la place de la machine dans le triangle pédagogique, notons qu’il semblerait que – dans ce contexte – ce soit la situation d’enseignement avec machine (l’EAO) qui fasse émerger le questionnement sur la validité de la distinction entre didactique et pédagogie. Serait-ce parce que l’inclusion de la machine dans la relation pédagogique installe une relation de médiation entre ces deux axes qui, en quelque sorte, les rapproche ?
Plutôt que de nous risquer à formuler nos propres définitions de la didactique et de la pédagogie, nous avons établi, à partir des définitions fournies par les divers auteurs consultés, un tableau des caractéristiques de ces champs qui nous paraissent les plus pertinentes pour notre étude (Tableau 1.4, ci-dessous). Nous suivrons par ailleurs la proposition d’Astolfi de considérer la relation entre ces deux champs comme « une différentiation de postures [plutôt qu’] une délimitation de territoires » (1997 : 67).

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